Édito

Une jeunesse européenne

La jeunesse européenne serait-elle romantique ? À suivre les médias, elle serait sans espoir, sans projet et sans avenir, jeunesse post-covid, éco-anxieuse ou dépressive, incapable d’envie et de vie, telle que celle décrite par Musset dans La Confession d’un enfant du siècle, en 1836 : « Un sentiment de malaise inexprimable commença alors à fermenter dans tous les cœurs jeunes. […] Il n’en était pas un qui, en entrant chez lui, ne sentît amèrement le vide de son existence et la pauvreté de ses mains ». Ou encore : « Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou, si l’on veut désespérance ; comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls. » Mots troublants aux échos contemporains, rappelant que le romantisme n’est pas fait de belles histoires, de préférence à l’eau de rose, mais plutôt de pensées rouge sang et noir charbon, expressions d’un profond malaise existentiel, dans une Europe bouleversée par la révolution industrielle, la fin des structures classiques (même en musique), les bouleversements politiques et les crises économiques d’une période post-révolutionnaire où « l’hypocrisie est morte ; on ne croit plus aux prêtres / Mais la vertu se meurt, on ne croit plus à Dieu » – toujours Musset.

Mais Berlioz n’aimait pas Musset – trop d’absinthe, trop d’ivresse, trop de sauvagerie, sans doute trop d’échecs aussi chez le poète pour espérer l’amitié du compositeur – et se contentait d’admirer son talent. D’ailleurs Berlioz, qui ne manquait ni de sauvagerie, ni de talent, ni d’échecs lui-aussi, était assez sévère avec les artistes maudits (il en est de même avec Gautier, à qui l’on doit les poèmes des Nuits d’été). Sans doute trop solitaire pour s’agiter dans les salons – comme celui de George Sand, fréquenté par les romantiques – où l’on sublimait le malheur. Sans doute trop bipolaire – ses excès sont documentés – pour se complaire durablement dans la mélancolie. Car si Berlioz se plaignait de son temps, de ses gouvernants, de ses infortunes, de la vie précaire et agitée de la musique en Europe, « dont les paroles prophétiques ne sont point écoutées et qui lève au ciel ses yeux, ses yeux seuls, car ses mains sont retenues par des chaînes », il ne cessait jamais de s’exalter, de s’emporter, de désirer et d’espérer en l’art comme s’il s’agissait d’une divinité qui pourrait nous sauver. Si tant est que nous-autres, Européens, y mettions un peu plus d’enthousiasme !
Car « nous aurons beau faire en Europe, nous serons toujours distancés par les enthousiastes du nouveau monde, qui sont aux nôtres comme le Mississipi est à la Seine » ironisait Berlioz. « Nous autres vieux Européens, usés, blasés, sans flamme et sans amour de l’art », s’indignait-il aussi, dénonçant « l’ennui européen », comme nous pourrions aujourd’hui dénoncer le manque d’intérêt pour une Union européenne que le Royaume-Uni a choisi de quitter mais qui laisse sa porte fermée à l’Ukraine et d’autres pays qui rêveraient d’en être. Car l’Europe fait encore rêver, il ne faut pas l’oublier, et la jeunesse rêve encore, il ne faut pas en douter : les romantiques d’aujourd’hui récolteront le blé sur leurs terres brûlées…

C’est avec cet espoir, dans un grand souffle symphonique, que nous avons construit pour vous cette programmation ouverte sur l’Europe (et sans Brexit pour ne pas nous passer de nos amis Anglais !), fidèle à l’enthousiasme de Berlioz, avec de jeunes musiciens fantastiques et des marraines et parrains aux mains d’or, qui ont gardé leurs cœurs d’enfants…

Bruno Messina
Directeur du Festival Berlioz